Comment le prix d’un vêtement est déterminé
Pour pouvoir juger si un vêtement coûte trop cher ou non, il faut d’abord comprendre ce que son prix représente. Comme l’explique très bien Liz Pape, le prix d’un vêtement inclut le matériel et la main d’oeuvre, mais aussi le transport, la location et l’entretient des bâtiments, le marketing, le salaire des employés qui ne s’occupent pas de la production à proprement parler, et finalement, les profits nets que la compagnie utilisera pour réinvestir et grossir. La marge de bénéfice est à la discrétion de la compagnie, mais en général, on calcule un profit brut de 50 à 75% du prix de vente.
Comment expliquer la différence de prix?
Plus une compagnie vend en quantité importante, plus elle peut réduire sa marge de profit. Ceci est possible étant donné que certains frais comme le salaire de ses employés et les locaux sont fixes (on parle d’overhead). Ainsi, non seulement une compagnie globale comme H&M et Zara peuvent réduire le coût de la production du vêtement lui-même en produisant en quantité, elle peut aussi répartir son overhead sur la quantité de vêtements vendus et ainsi réduire la marge de profit nécessaire à la survie de la compagnie. Par contre, ces compagnies ne réduisent pas leur marge de profit, mais gardent environ la même pour permettre de grossir à un rythme accéléré. Ainsi, même si une camisole du H&M se vend seulement 15$, on peut supposer qu’elle a couté environ 3.75$ à produire. À 3.75$ par camisole, on comprend aussi que le tissu est de moidre qualité, et la main d’oeuvre très peu payée. Les détaillants de mode rapide fonctionnent volontairement sur un modèle de piètre qualité et de gros volumes pour pouvoir offrir d’aussi bas prix.
Pour une compagnie de mode durable et éthique, le coût de fabrication du vêtement est plus élevé. En effet, ces compagnies utilisent souvent des fibres naturelles, produites par des agriculteurs mieux rémunérés, et donc des textiles de meilleure qualité qui permettent aux vêtements d’être portés plus longtemps. De plus, les travailleurs sont payés justement, c’est-à-dire qu’ils ont un salaire qui leur permet un minimum de qualité de vie. Il est donc normal que pour une même camisole, on s’attende à un coût de fabrication double, voir triple, selon la compagnie. Effectivement, la mode durable coûte plus cher que la mode rapide, mais est-ce que cela la rend inabordable?
Le prix de tous les produits de consommation a augmenté depuis les années 80, alors que celui des vêtements est resté le même ou a diminué. Notre idée d’un prix “normal” pour un vêtement est faussée par ceux des compagnies de mode rapide. De plus, nous consommons en moyenne 60% plus de vêtements qu’à la fin des années 90. Ainsi, même si les prix ont diminués, nous ne dépensons pas moins pour se vêtir, au contraire. L’augmentation de la consommation veut aussi dire augmentation des déchets. En effet, la quantité de vêtements qui se retrouvent dans les dépotoirs a aussi augmenté (en moyenne, l’Amérique du Nord jette 12 millions de tonnes de textiles dans les dépotoirs), ce qui veut dire que nous n’avons pas de plus grands garde-robes, nous ne faisons que renouveler plus souvent son contenu.
De nos jours, il est difficile de reconnaître un vêtement de qualité d’un vêtement qui durera plusieurs saisons, ce qui fait qu’on a l’impression qu’on achète le même produit peu importe combien on dépense. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de relation directe entre le prix d’un vêtement et sa qualité. De plus en plus, les compagnies de luxe font produire leurs vêtements dans les mêmes usines que celles de mode rapide, afin d’augmenter leurs profits. En tant que consommateur, il est de notre responabilité de faire nos recherches sur les compagnies afin de savoir lesquelles ont le respect de la durabilité et des travailleurs au coeur de ses valeurs. Le truc : aller lire la section “À propos” de leurs sites internet. Lorsqu’il n’y a aucune mention de ces deux aspects de la mode durable dans la section “valeurs”, ce devrait être un drapeau rouge, peu importe si la compagnie propose un gamme “consciente” (cliquez ici pour comprendre ce qu’est le green washing).
Est-ce que la mode éthique coûte trop cher?
La réponse courte est évidemment non. La mode éthique cherche à ramener l’industrie de la mode sur le chemin de la respectabilité et un vêtement produit de facon éthique et sans heurter l’environnement ne peut se comparer à un vêtement produit en masse. Une fois ce fait établi, il faut se questionner sur la durabilité du vêtement. Une paire de jean de mode rapide ne durera pas aussi longtemps qu’une paire qui a été faite avec la durabilité en tête, et on en achètera bien plus à la longue. Ma soeur a acheté il y a 5 ans des sandales en vrai cuir produites en Italie, et trouvait qu’elles étaient vraiment cher (240$ si je me souviens bien). Mais elle les porte encore et elles ont l’air neuves. Si elle avait acheté une paire moins cher, de moins bonne qualité produite en Chine, elle en aurait acheté une paire à 50$ à chaque année et ce serait revenu au même. On parle souvent du principe de “cost-per-wear”. Un vêtement qui reste en bonne condition pendant des années même en étant porté à chaque semaine revient beaucoup moins cher qu’un vêtement de piètre qualité qu’il faut racheter à chaque saison. De plus, en achetant des vêtements de qualité, on sauve du temps d’en chercher d’autres lorsqu’ils seront brisés et comme on dit : le temps c’est de l’argent!
Attention! Cela ne veut pas dire de tout jetter les vieux vêtements et de racheter des vêtements de qualité! La transition vers un mode de consommation plus responsible peut se faire progressivement et selon les capacités de chacun. Personnellement, je préfère investir mon argent dans des pièces intemportelles, ou des basics. Ces morceaux dureront plusieurs années, mais étant donné qu’il s’agit de basics, ils ne se démoderont pas. Beaucoup de compagnies de mode durable font ce genre de produits. Ainsi, je me suis procuré une paire de denims noirs et un col roulé noir chez Everlane et un t-shirt blanc chez Everybody World. Ces morceau ont couté un peu plus cher qu’ils n’auraient coutés si je les avais achetés auprès de compagnies de mode rapide, mais ils vont durer beaucoup plus longtemps. Je ne prévois pas acheter de t-shirt blanc dans les prochaines années, mais j’ai acheté une camisole noire H&M à chaque année entre 2010 et 2015 parce qu’elle était délavée, boulochée, étirée, etc. En bout de ligne, ça m’est revenu à 75$. À ce prix, j’aurais pu avoir une camisole 100% soie fabriquée au Canada…
Le fait est qu’en modifiant légèrement nos habitudes de consommation, on a plus de revenu disponible pour acheter des produits de qualité, qui dureront plus longtemps. À force d’acheter de cette façon, on jette moins de vêtements défraichis à chaque saison et on peut donc investir dans des pièces de meilleure qualité. C’est un cycle qui en vaut la peine!
Il faut cesser de voir les vêtements comme des produits de consommation jetables. Chaque morceau de vêtement est un investissement et si on l’entretient, peut durer des années. Il est temps d’arrêter de trouver normal de sortir d’un centre d’achat avec 10 morceaux de vêtements en ayant dépensé moins que 200$. Ce n’est pas normal de vouloir dépenser le moins possible pour une commodité qu’on utilise à tous les jours. Il est temps d’arrêter de chercher à acheter le moins cher et de se demander quelle est la véritable valeur de ce qu’on achète. Personnelement, si un vêtement a couté la vie à un agriculteur, a forcé une mère à se séparer de son enfant parce qu’elle ne pouvait le nourrir, a empoisoné la nappe phréatique, ou se retrouvera dans ma poubelle dans quelques mois, il ne vaut absolument rien de toute façon.
Est-ce que la mode durable coûte trop cher?
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